Chapitre Cinq. Comme c’est étrange
— Bonjour !
— …Bonsoir !
— Très beau costume.
— Merci.
— L’endroit est tellement atmosphérique, j’adore venir ici.
— Oui, moi aussi.
— Je ne vous ai jamais vu ici.
— Ça arrive. On ne s’était simplement pas croisés.
— Je viens surtout au coucher du soleil… On peut voir l’aube aussi, mais j’aime traîner un peu au lit. Je n’arrive jamais à temps sur la colline, alors je la salue depuis la terrasse, avec mon café.
— Je comprends… Moi, je viens plutôt à l’aube.
— Si tôt ? Quelle discipline ! Vous n’avez jamais envie de dormir ?
— Non. J’ai le temps de me reposer. J’aime ça, et je le fais avec plaisir. Regardez, ça commence.
— J’adore ces moments. Je regarde, je repense à la journée passée, je fais le bilan, je rêve à demain.
— Pourquoi ?
— Eh bien… le coucher du soleil, c’est la frontière entre ce qui est passé et ce qui vient. Alors je pense aux deux.
— Regardez ! On dirait que le soleil accélère vers l’horizon.
— Oui, c’est vrai, je vois le mouvement. Je ne l’avais jamais remarqué. Comme la trotteuse d’une montre : lente, visible, inexorable.
— Et le ciel ? Regardez cette couleur. Et les nuages — ils deviennent roses… vous voyez ? Et la brise, légère, imperceptible, née de la mer, elle porte son souffle et sa fraîcheur. Vous la sentez ?
— Oui. Si douce, et pas froide.
— La mer est tiède…
— Voilà le moment le plus fascinant. Regardez ! Le soleil est presque à l’horizon — il goûte l’eau. Cet instant où la mer semble se coller au disque brûlant.
— Comme si le soleil avait goûté son thé… et commence aussitôt à se refroidir. Il n’est plus aussi éclatant. Il s’en va, lentement, lentement… et pourtant si vite. Hop ! Disparu. Et cette lueur !
— Elle restera encore un moment au bord du monde, puis pâlira et deviendra nuit. Regardez les étoiles : une, deux…
— Bientôt on ne pourra plus les compter. La lune ne gêne pas encore. Quelle scène magnifique.
— Puis-je vous raccompagner ?
— Si cela ne vous dérange pas.
Elle contemplait rêveusement la grande fenêtre de sa chambre. Il faisait chaud, calme et paisible.
Elle ne se souvenait plus de la journée écoulée. Elle avait bien existé, sans doute, mais elle n’avait pas pensé à demain. Le coucher du soleil, ce moment magique, l’avait entièrement absorbée — tout comme l’inconnu à ses côtés. Il retenait son attention dans le présent, coupant le passé et empêchant l’avenir d’entrer.
Ce chemin du retour, sinueux, pierreux, qu’elle n’avait même pas remarqué… Étrange, elle n’avait pas vu de lanterne dans la main de son compagnon. « Sans doute la lune est sortie », pensa-t-elle. Mais non, pas ce soir.
Elle fronça les sourcils, cherchant à se souvenir de quelque chose d’inquiétant. Mais une petite plume blanche se posa doucement dans sa paume, et elle s’endormit d’un sommeil calme et profond.