Chapitre Premier. L’Ange Fatigué

— Ouf… Je n’en peux plus.
Il s’assit lourdement sur une pierre chauffée par le soleil, les jambes écartées, les longs bras nerveux posés dessus. Sa tête retomba entre ses épaules, son dos se courba, laissant les muscles se détendre. Ses grandes ailes pendaient mollement de chaque côté.
— Juste un instant… reprendre mon souffle.
Inspire. Expire. Inspire. Expire.
Aucune pensée ne venait, sinon celle-ci : jamais encore il ne s’était senti aussi épuisé. Le travail, pourtant, était le même — ni plus facile, ni plus difficile qu’avant. Mais cette énergie qui autrefois emplissait ses veines ne suffisait plus qu’à le maintenir conscient. Et cette idée seule le fatiguait davantage. Il couvrit son visage poussiéreux et moite de ses grandes mains, puis se massa les tempes.
— Tout le monde se fatigue. J’ai fait, et je fais encore, tout ce que je peux, tout ce que je sais faire, tout ce qui est en mon pouvoir. Je ne prends jamais une tâche que je ne puisse accomplir, et ce que je fais, je le fais bien. C’est pourquoi on m’en demande toujours plus — et j’y parviens. Mais aujourd’hui… j’ai tout fait, tout réussi, sauf pour moi-même : il ne restait plus rien.
Il baissa les mains et leva le visage vers le soleil, dont la chaleur sécha vite la poussière et la sueur sur sa peau.
— Oui… comme ça… c’est bien.
Il sentait la fatigue s’enfoncer dans la terre tandis que la lumière le remplissait à nouveau. Encore une minute, puis, d’un large mouvement d’ailes, il se leva. Il s’approcha du bord de la falaise d’où s’ouvrait une mer sans fin, éclatante de lumière. En bas, l’eau turquoise bouillonnait et léchait les rochers.
— Merci à Toi, Seigneur !
Les bras ouverts, il se pencha en avant ; ses ailes se déployèrent.
En un éclair, il s’élança vers le vide — les courants d’air fermes balayant la poussière et les grains d’épuisement de sa peau et de ses plumes. L’eau approchait, sa couleur d’émeraude l’attirait, l’appelait.
Il tendit les bras, replia les ailes et plongea d’un élan dans la fraîcheur salée qui enveloppa son corps de milliers de petites bulles frémissantes. D’un puissant coup de bras, il jaillit de la surface bouillonnante. La sueur et la poussière avaient disparu ; l’eau ruisselait le long de sa peau. Le premier battement d’ailes dispersa des millions d’étincelles, le second chassa les dernières gouttes, et le troisième éblouit l’air alentour de la blancheur de ses plumes lavées, le soulevant au-dessus des vagues.
Encore. Encore. Et encore.
Il volait vers le soleil, frôlant parfois l’eau, puis s’élevant soudain vers le zénith. Il volait vers ceux qui attendent, espèrent et croient.
— Je ferai tout comme il faut ! Parfois, il suffit seulement de se reposer.
Il ferait tout — il avait juste besoin de repos.

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